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Quelques mots sur toi : qui es-tu ? quelle est ta fonction ? dans quelle commune ?

caroline breillat

Je m’appelle Caroline Breillat, je suis coordinatrice principale du Projet Educatif Social Local (PESL) à Coutances Mer et Bocage (intercommunalité 2017 - 48 500 habitants, 49 communes, 50 km d’un bout à l’autre).

Explique-nous en quelques mots le contexte dans lequel tu as expérimenté Tok Tok

tok tok

Tok Tok, c’est un outil participatif itinérant qui a été créé dans le but du futur PESL et de la stratégie de mobilité. L’objectif était d’aller à la rencontre de la population pour alimenter notre diagnostic d’un volet qualitatif et de pouvoir aller à la rencontre des personnes les plus éloignées des processus participatifs classiques.

Le budget global était de 13 500 € : temps de travail de 2 agents, animation de la démarche (avec 2 stagiaires en master), communication par le service communication et externalisation auprès d’une graphiste sur le logo.

Décris-moi un moment d’interaction avec un ou une citoyenne pendant Tok Tok au cours duquel tu t’es sentie enthousiaste, en gratitude, où tu as le sentiment de toucher du doigt ce qui fait la valeur et le sens de ton métier. C’était quand, où, avec qui, à propos de quoi ? 

C’était un jour de septembre 2020, Tok Tok s’est déroulé pendant tout le mois de septembre. On était à Coutances et on utilisait un outil : le porteur de parole. J’échangeais avec un groupe de jeunes lycéens, 3 filles et 1 garçon et on a commencé à discuter plus particulièrement avec une des jeunes femmes. Au fil de l’échange, elle parle de son engagement militant : “moi par exemple je milite contre le racisme et pour le développement durable”. Elle parle aussi de militantisme féministe, elle le dit entre les lignes en disant “on en a marre que les filles soient seulement vu comme des objets. Par exemple, on a le droit d’être en maillot de bain à la piscine en cours de sport, mais quand on vient au lycée avec un crop top, c’est plus la même. Ça envoie des messages importants : on a le droit de se faire reluquer à la piscine parce qu’on est dans le cadre scolaire alors qu’on n’a pas le droit de mettre un crop top dans ce même cadre scolaire alors qu’ici on en a envie - et surtout avec un jean taille haute où on montre qu’un petit bout de peau.”

A ce moment, elle m’a mise dans un paradoxe. Ça m'a questionné sur la représentation du corps. J’étais dans une posture de gratitude envers cette jeune fille, car je me suis dit que je pouvais aborder l’égalité hommes/femmes en partant de cet exemple là. Parce que c’est mon travail d’interpeller sur ce type de problématique. J’aurais eu le sentiment de ne pas être entendue si ça ne venait que de moi mais là en partant d’un exemple concret, c’était crédible.

Qu'est-ce qui a été possible grâce à toi ? Quelles ont été les conséquences pour toi, autour de toi ? Quelles ont été les conséquences pour le citoyen ?

Ce qui a été possible grâce à moi : le fait de créer le projet Tok Tok dans une posture d’aller vers, avec une certaine posture : ce n’était pas un outil de revendication mais un outil de dialogue citoyen (sur les 800 personnes, on a eu 2 personnes qui ont pu être critiques). 

Avec l’équipe d’animation - deux jeunes étudiants en master - on a offert à ces jeunes un moment pour s’exprimer sans leur dire qu’on allait faire tout ce qu'ils demandaient. On était très clair sur ce qu’on allait faire : on va relayer les informations que vous nous donnez à disposition des élus 

In fine, le projet politique est ciblé comme une réponse aux attentes des jeunes : ont été définis 6 axes politiques (intégrant notamment l’égalité fille / garçon ou la volonté d’impliquer les jeunes dans les instances de gouvernance associatives et politiques).

Sans fausse modestie, quelles sont les forces, talents, contributions qui t’ont été utiles dans cette situation ?

L’empathie : c’est une nécessité sur ce type d’exercice. De se mettre au même niveau, de ne pas diriger, de réussir à être suffisamment ouverte pour que l’autre s’ouvre à moi, même lorsque je n’en ai pas forcément envie.

L’adaptabilité : il faut être capable de s’adapter à son interlocuteur pour réexpliquer la démarche selon leur vocabulaire (les seniors, les jeunes…).

La facilité d'interagir avec l’autre : spécialement avec les personnes qui disent qu’ils n’ont rien à dire. En général, c’est avec eux que je passe 45 min.

La sincérité : être transparente sur ce que je sais ou pas.

Le plaisir : je prends plaisir dans l’engagement avec le public et l’échange

Par exemple, certains jours, je pars de Saint Lô jusqu’à Coutances et je prends des jeunes en stop (c’est très développé ici). J’en profite pour leur poser plein de questions sur la mobilité. Et ils ont plein d’idées concrètes. Pour moi c’est la base de mon métier d’être à l’écoute, c’est presque de l’ordre de la prospective et moins de la partie technique qu’on développe beaucoup.


Qu’est-ce qui t’a procuré de la satisfaction, du plaisir  ? 

C’est l’interaction qui me procure le plaisir. Et c’est intéressant de constater que c’était presque la part la plus difficile pour les jeunes co-animateurs. Au début, on a eu peur parce qu’ils n’étaient pas à l’aise. Comme ils portent plein de discrédit de l’adulte - parce que ce n’est pas ce qu’on attend d’un jeune en matière de savoir-être - alors ils ont une posture de non-légitimité à y aller. Ils étaient très avenants et agréables pour aller vers les collégiens mais pour aller vers les adultes, c’était plus compliqué. Alors, on a beaucoup travaillé sur des cas pratiques et ils ont évolué tout au long du projet. Et maintenant, je suis fière de dire qu’une des stagiaires fait du développement social local alors qu’elle ne s’y prédestinait pas du tout.

C’est le souvenir que je trouve le plus symbolique, c’est celui qui m’interpelle plus professionnellement. Du haut de ses 16 ans, j’ai trouvé cette jeune femme très adulte. Et puis, c’est un sujet qui me parle, je mets de l’égalité femme/homme partout.


Quels seraient tes trois souhaits pour pouvoir vivre plus souvent ce genre de situation ?

J’ai un vrai souhait : j’aimerais que l’outil Tok Tok devienne pérenne. J’ai envie qu’il recommence, soit sur le PESL sur d’autres thématiques, soit par d’autres collègues. On a fait des panneaux magnétiques pour le refaire. J’aimerais aussi que mes collègues l’utilisent, s’en emparent. J’aimerais que la population prenne l’habitude que Tok Tok existe et que c’est un moyen pour dire des choses sur comment les habitants et habitantes vivent Coutances Mer et Bocage. A défaut, j’aimerais à minima que d’autres temps comme celui-ci soient organisés pour discuter avec les habitants.

J’aimerais aussi continuer à être en lien avec des élus qui nous soutiennent, qui défendent le dialogue avec les habitants. En fait, si tu n’as pas de relai politique pour soutenir la démarche, c’était très difficile voire impossible à mettre en place. J’aimerais peut-être même que notre législateur puisse les institutionnaliser. Pas forcément tout réglementer pour laisser la part de consultation des citoyens, mais au moins sur une mandature d’aller vers. Ça m'interroge vraiment, en tant que technicienne, que les politiques publiques nationales soient peu construites avec les habitants.

 

 

Qu’est-ce que ce projet a généré chez les participants - du côté habitants et du côté collectivité ? 

Du côté habitant, j’espère qu’il leur a donné l’envie de s’exprimer. Du côté collectivité, ça a permis de se dire que c’était finalement possible d’associer les habitants. Ce projet a permis de faire bouger les lignes sur l’envie d’associer l'habitant et ça a bousculé leur vision de la jeunesse sur le territoire. 

Globalement, j’ai dit à mon élu : “tu auras les arguments pour dire non” parce que tu auras l’avis de 800 personnes. En plus, pour développer des stratégies efficaces et des projets utiles, il est essentiel d’avoir un diagnostic qualitatif.

Qu’est-ce qui a bien fonctionné ? et moins bien fonctionné ?

L’outil porteur de parole a super bien fonctionné. Alors que le photolangage n’a pas permis aux personnes de se projeter pour expliquer ce qu’on aime ou pas dans leur territoire ⇒ on a même arrêté de le mettre et on a adapté.

C’était très instructif de faire le choix des lieux et le partage de l’itinéraire avec les partenaires associatifs et le CCAS. On a défini un itinéraire et on leur a demandé : “voilà où on veut aller, qu’est-ce que vous en pensez ?”. Ça a nous a permis d’ajuster, par exemple : de cibler plutôt quelques marchés (sinon, ce sont les même profils partout), d’aller aux endroits où les jeunes sont, par exemple le Mcdonald's le mercredi midi ou le centre commercial (parents, jeunes, seniors, habitants du littoral et de la campagne, mobiles ou non…) Il ne faut pas se le refuser, ce qui est le plus important c’est d’aller là où étaient les gens. 

Quelle est la suite du projet ? 

La stratégie de mobilité a été validée.

Coutances Mer et Bocage a pris la compétence “Mobilité” depuis 2021.

Le projet PESL sera validé en début d’année 2022 avec une déclinaison opérationnelle et un schéma de gouvernance sur les 6 axes stratégiques. Nous gardons la possibilité de ressortir Tok Tok à tout moment sur ce projet ou avec d’autres collègues.

Avec quoi tu repars

Je suis ravie de pouvoir partager notre expérience, c’est gratifiant de partager ce qu’on fait et de valoriser le travail qu’on a fait. Si on peut être le “Jiminy Cricket” de quelqu’un d’autre, et leur dire que si on y arrive, vous pouvez aussi le faire.

Mon envie militante est de faire comprendre qu’il y a une vraie plus value de faire participer les habitants. Je crois que depuis que je suis étudiante, j’ai le mot “participation” dans mon ADN. C’est une certitude dans ma manière de faire mon métier.

Pour l’anecdote, l’idée de Tok Tok a germé pendant mon entretien individuel en 2018 : j’ai dit directement : “je veux faire un diagnostic participatif et le faire en camion pour aller leur demander ce qu’ils veulent”. Et ma persévérance a payé !

 

Pour en savoir plus sur le projet : https://www.anbdd.fr/wp-content/uploads/2021/09/tok-tok.pdf
 

Judith Aynès