Des ateliers casse gueule

Pense à un moment que tu as vécu, où tu as su maintenir une posture de coopération malgré un contexte difficile, seul.e ou avec ton équipe , où cette expérience a été un succès de ton point de vue et t'as rendu.e confiant.e dans la force de la coopération. Comment c'était ? Raconte-nous....

Au tout début de Donativo en 2016, ma première mission. Le but était de travailler une nouvelle réorganisation des services d'une collectivité. Mon client était le DGs. J'ai proposé un processus avec 7 ateliers de 1 journée qui s'appuyaient sur des thématiques transversales. Repenser le projet de réorganisation avec la transversalité comme donne commune pour qu'il y ait un partage d'expérience.
Un préalable était que les personnes soient volontaires pour venir : personne ne devait être contrainte d'y aller.
Au premier atelier, je me suis rendu compte que ça n'avait pas du tout été respecté.
Il y avait aussi une feuille d'émargement qui indiquait les catégories des personnes (A, B, C) pour préparer la bouffe du midi.
Et 3eme truc : le syndic s'était donné le mot pour venir à chaque atelier pour le flinguer.
Je ne savais pas que j'allais pas être instrumentalisé à ce moment là, le voeu du DGS était de mettre tout le monde dans le rang pour que tout le monde s'embarque dans son projet.
Les ateliers étaient parfois espacés d'une nuit. J'ai dû gérer ma fatigue émotionnelle, mais ma grande fierté est d'avoir réussi à me débrouiller pour que chaque atelier aille jusqu'au bout, malgré les personnes difficiles et un client très manipulateur.
J'ai appelé mon client pour lui demander de m'expliquer pourquoi le cadre n'avait pas été respecté. Il m'a dit qu'il avait passé le mot. J'ai appelé un directeur qui m'a dit : le DGS m'a dit qu'il devait y avoir du monde, faites comme vous voulez.
J'avais entre 25 et 40 personnes à chaque atelier, quand tu rentre le matin et que tu sens l'énergie de merde, les gens qui sont tous seuls dans un coin à regarder leur téléphone, c'est dur.
Mon premier réflexe a été de rassurer mon regard et ma posture sur les gens en bonne énergie. Quand j'animais, je cherchais leur regard. C'était inconscient au début et je l'ai conscientisé au 5ème atelier. Il y a des gens qui donnent de l'énergie et d'autres qui en prennent c'est sur.
Le 2ème reflexe : C'est de dire : je sais ce qui se passe, je ne suis pas naif ni candide, je veux que tout le monde puisse à tout moment venir me dire si c'est trop ou pas assez. En tant qu'animateur, ma posture est de protéger le groupe et que la journée se passe bien. C'est peut-être le moment de faire passer des messages ou pas, mais en tant que garant, je vous demande de ne pas emmerder le groupe. Et à tout moment si une personne qui s'est mise de côté veut revenir dans le groupe, il n'y a pas de problème.
Je me suis rendu compte que vu que les 3 précédents ateliers s'étaient bien passés, d'autres personnes sont venus, conseillés par leurs collègues.
Un souvenir marquant : la gestion des cas (personnes), 3 étaient syndiquées, visages hyper fermées, il n'y en a qu'un que je n'ai pas pu dérider sur les 175. Cette personne n'a pas dit un mot mais il n'a pas dérangé le groupe. Je suis venu le voir 2 fois dans la journée, et je lui ai dit : tu viens quand tu veux, dès que t'as envie et si t'as envie de partir, il n'y a pas de souci non plus.
Un autre exemple : une dame aussi très fermée, et au milieu de l'après midi, elle vient me voir et son visage avait changé, elle me dit "Patrice Merci, vous m'avez autorisé et vous m'avez accordé une place que je ne m'attendais pas à trouver, et je me suis investi dans des choses qui me convenaient en sentant l'énergie du groupe derrière". D'autres personnes m'ont dit : "Ce qu'on a fait là, on ne le fait pas assez"
Tant qu'on peut tenir le process c'est cool, s'il faut arrêter l'atelier parce que ça ne marche pas, il faut le faire.
C'est ce que je posais : si à un moment je sens qu'il faut l'arrêter, je me permettrais de le faire et ce sera aussi un rapport d'expérience pour mon client. Tous les ateliers sont allés au bout.

Je tire beaucoup de fierté dans ma gestion du groupe et des personnes. J'allais questionner sans être intrusif, en voyant leur colère en leur disant je suis là, je vous vois, je sais. Et ces personnes se sont senties autorisées, avec une place à prendre.
Pour toutes ces personnes forcées et contraintes, elles ont apprécié l'expérience, parfois ce n'est pas tant le processus. Ces agents étaient et sont toujours en souffrance et ont besoin de ces moments là pour se rencontrer et faire un truc ensemble.

Sans fausse modestie, quels sont les talents, compétences, qualités que tu as mis en jeu pour que ce succès soit possible ? Quand t'es sur des terrains minés comme ça, il faut avoir une putain de capacité d'écoute et de ressenti, toutes mes antennes hypersensibles étaient archi branchées.
J'ai réussi ce coup d'être à la fois concentré sur le groupe et sa progression et sur des personnes. Je prenais de l'énergie sur des personnes positives qui venaient me rassurer pour pouvoir donner à d'autres.
Attention à ne pas surjouer, sur représenter, insister sur des points qui m'échappaient : rester à ma place.
Je n'ai pas hésité à me dire : si ça plante, c'est pas grave. Ne t'accroches pas à la réussite de ton process si tu sens que ça ne prend pas.
Ne pas forcer les personnes à coopérer si elles n'en ont pas envie.
Avoir cette invitation peut-être naive : le contexte est celui là, vous êtes peut-être forcé de venir, soit vous profitez de cette journée pour en faire quelque chose, soit ce n'est pas tenable pour vous et on arrête. C'est l'argument qui a facilité les choses.
Ce qui m'a permis de tenir bon c'est de me dire que je pouvais lâcher.
Quels éléments essentiels (facteurs externes, apports) ont été soutenant pour toi et ton équipe dans cette aventure ? Le premier atelier était un coup de dé et il s'est bien passé, ce qui m'a permis de faire les autres, c'est les témoignages de reconnaissance que j'ai eu au cours de la journée, où je me suis dit que je ne faisais pas ça pour le DGS, mais pour les participant.es
Si c'était à refaire, quels seraient tes 3 souhaits pour que ta posture de coopération soit encore plus forte et bénéfique pour le projet - Refuser la mission ( j'en ai refusé depuis des comme ça)
- Que mon DGS ne soit pas le seul interlocuteur, que ce soit l'ensemble du CODIR pour mettre les conditions de réussite d'équerre et collecter leurs attentes
- Espacer plus les ateliers = 1 par semaine et pas 7 en 15 jours : prendre soin de moi
- La coopération ne se construit pas que sur un atelier, il s'est passé des choses, et je suis triste pour ceux qui n'ont pas eu de continuation derrière. Plutôt vendre un parcours.
Comment souhaites-tu signer ta contribution ? (Nom ? Prenom ? Structure ? Anonyme ?) Patrice Martin
Qui a permis que tu te retrouves ici ? invitation de Yannick