Accompagner le dérapage
En milieu carcéral, on s'est retrouvé avec mon collègue Guillaume à 2 minutes d'une intervention pour commencer le développement des compétences de tutorat quand le directeur a déboulé en disant "il y a rien qui fonctionne, ce groupe n'est pas capable de sortir les documents que j'attends... J'hésite beaucoup à faire une demande de budget pour continuer vos services sur 2024".
Les stagiaires sont arrivés à ce moment. Il les a apostrophé sur le fait qu'ils avaient mis des fourmis sur leur blason.
Pour amener un peu de détente dans la session j'ai rappelé que "Mr de La fontaine avait une grande estime pour les fourmis." Le Directeur a dit : La fourmi n'est pas prêteuse" et s'est assis dans le cercle.
A partir de là, on l'a encouragé à exprimer ce dont il avait besoin, on a listé tout ce qu'il disait et on a fait tourné un baton de parole.
Il était rassurée qu'il pouvait être entendu. On lui a confirmé ensuite qu'on allait animer la matinée comme prévu et que nous discuterions avec les stagiaires comment modifier l'après-midi pour prendre ses demandes en compte. Dans la matinée, on a retravaillé les fondamentaux de la communication non violente et animé des espaces de pratique. On a posé au milieu les demandes du directeur et on a encouragé les participants à identifier les endroits pas clairs ainsi que les endroits où ils se sentaient en sécurité ou pas en tant que groupe.
A 11h45, on leur a dit que c'était eux qui allaient aborder les questions avec le directeur à 14h. Ce qu'ils ont fait.
On a eu à la fin un accord collectif sur ce qui devait être fait, quand et comment. La difficulté en prison est que les équipes différentes n'ont pas les mêmes plannings, donc du mal à se retrouver ensemble sur le même créneau.
Le Directeur est reparti à 15h : on a fait un débrief et on les a fait réfléchir sur la place qu'ils avaient pu prendre en temps que groupe.
En fin de journée, ils ont travaillé sur les 4 objectifs qualitatifs et quantitatifs pour s'organiser et savoir comment chacun pouvait contribuer.
On a transformé cette contrainte de début de journée en expérience d'apprentissage, et ça a énormément soudé le groupe de pouvoir vivre cela ensemble.
La fois suivante, ils ont pu faire un cercle pour réguler eux mêmes leurs tensions sans qu'on intervienne, aussi parce qu'ils avaient pu trouver leur place par rapport à ces attendus qui n'avaient pas été clarifiés de prime abord.
On n'a pas essayé de transformer ce qui était, on a laissé partir dans le mur.
Ensuite, j'ai posé un trait d'humour qui a permis de prendre de la distance.
Toujours garder le point de vue haut, ne pas se prendre au sérieux, prendre de la distance, laisser à la personne ce qui lui appartient et prendre ce qui appartient à soi. Avoir une sorte de vigilance par rapport à ça.
Le groupe s'est senti sécurisé parce qu'on a su développer une vraie confiance. Capacité à créer une confiance grâce au non jugement, l'accueil inconditionnel. Ils n'ont jamais douté qu'on était de leur côté, et ça leur a permis de prendre leur place. Ce regard sur l'autre.
On a montré au directeur ce qu'on avait fait toute la matinée et comment on avait utilisé sa demande comme manière de faire travailler les surveillants. Les questions qu'ils posaient étaient les vraies questions qu'ils avaient. Remettre les choses dans un contexte qui a du sens pour la personne et toutes les parties prenantes, permet de sortir de son positionnement émotionnel, de revenir à une posture plus neutre. Il est redevenu directeur parce qu'on l'a remis dans le contexte de développement de compétences de tutorat dans le milieu carcéral. Passer du micro au macro.
- Que la hiérarchie prenne le temps de venir, un représentant a été nommé et est venu à la dernière journée, mais on aimerait une journée avec toutes les parties prenantes pour la suite du programme.
- Les gens sont rarement disponibles en même temps dans ce milieu là : voir comment leur organisation peut fonctionner de manière à laisser plus de temps au travail collectif. Peut-être définir des plages de rencontres longtemps à l'avance pour se rencontrer et continuer à grandir ensemble.
- Faire encore plus que ce qu'on a fait, qui était une 1ere partie d'expérimentation avec la CNV, et les 3 dernières parties : construire sur ce dont ils ont besoin. Faire plus de co-construction : partir des besoins évolutifs des stagiaires pour avancer et co-construire plus tôt dans le programme.